Les actualités de la Résistance

Les combats pour la Libération de Paris filmés par une équipe de cinéastes de la Résistance, seront les premières images de la France libérée, diffusées par France Libre Actualités et le Comité de Libération du cinéma français (CLCF), que verront les Français de métropole dès les premiers jours de septembre. Il porte le titre de Journal de la Résistance : la Libération de Paris.

France libre Actualités. Journal de la Résistance : la Libération de Paris. Film réalisé par le Comité de Libération du cinéma français.

Aux origines du film

L'idée de réaliser un film sur la Libération de Paris est venue d'Hervé Missir, reporter d'actualités, après le débarquement allié en Normandie. Au 78 avenue des Champs-Élysées, quartier général du CLCF, celui-ci s'entoure d'une équipe de techniciens : Nicolas Hayer (chef opérateur), l'écrivain René Blech (responsable de la section cinéma du Front national), Roger Mercanton (monteur), André Zwobada (réalisateur) et Jean Jay (ancien directeur de l'Association de la presse filmée).

À l'origine, le film sur la libération de Paris est conçu comme un témoignage sur l'insurrection parisienne mais aussi comme le numéro zéro des futures actualités libres que le CLCF entend diffuser dans toutes les salles des territoires libérés. Il refuse de laisser le monopole aux actualités américaines, Le Monde libre, seul journal projeté depuis le 6 juin dans la France libérée.

Le travail est planifié. La capitale est divisée en dix secteurs. Nicolas Hayer prend la tête d'une véritable troupe d'opérateurs répartis en équipes de deux ou trois : il s'agit d'anciens journalistes de Gaumont, Pathé ou Éclair, employés à France-Actualités depuis 1942, et d'indépendants. Des liaisons sont établies avec les studios et les entrepôts pour récupérer pellicule et matériel. Les réunions se multiplient, appartements, plateaux, laboratoires sont utilisés alternativement. À l'approche du jour J, on s'agite beaucoup dans les studios Pathé, rue Francœur, sur le tournage de Falbalas : c'est qu'en effet dans l'équipe de Jacques Becker se retrouvent Nicolas Hayer, Pierre Laroche, Max Douy et Marcel Lathière, chef du service des achats chez Pathé, responsables à différents niveaux de la réussite de l'entreprise. Le 18 août, les premiers affrontements ont lieu, les opérateurs sont à leur poste. Le 19 août 1944 au soir, les anciens locaux du Comité d'Organisation de l'Industrie Cinématographique sont investis. Les bobines enregistrées sont livrées par des cyclistes aux sept permanences réparties dans la capitale, puis acheminées vers un laboratoire de la rue Carducci remis en route pour la circonstance, et enfin envoyées vers les Buttes-Chaumont, où Roger Mercanton et Suzanne de Troye en effectuent le montage. C'est Hervé Missir qui, au bout de la chaîne, choisit les documents à conserver pour le film.

Le succès du film

Au départ, la bande comprenait un prologue résumant les quatre années d'Occupation qui devait introduire les séquences sur la Libération de Paris. Mais, devant l'abondance des prises de vues, les organisateurs décident de la limiter à la seule insurrection parisienne.

Le montage est terminé le 26 août, Pierre Bost en écrit le commentaire, lu en voix off par Pierre Blanchar. Des billets spéciaux sont imprimés portant le libellé "Jeanne-d'Arc-Paris-Première". Les recettes serviront à alimenter le fonctionnement du CLCF. Cet événement est le premier spectacle de Paris libéré. Avant même le rétablissement des transports métropolitains, les premiers kilowatts d'électricité sont réservés aux salles qui projettent le film. Il est salué avec enthousiasme dès sa première présentation publique dans la capitale, le 29 août 1944. Plus de la moitié de la population adulte, la même proportion qui est allée, le 26 août, voir le général de Gaulle descendre les Champs-Élysées, va voir le film.

La Résistance intérieure dans le film

Il n'eût pas été illogique que le premier film du CLCF célèbre dans une certaine exclusive la gloire de la Résistance intérieure - et plus encore celle des FTPF parisiens - comme le fit par exemple le documentaire soviétique, La France libérée, réalisée par Sergei Youtkevitch en 1945, qui, dans son évocation de l'insurrection parisienne, chantait la gloire des communistes, "fidèles soldats de la Résistance".

Si toute la première partie de La Libération de Paris, consacrée à l'insurrection parisienne et à ses temps forts, fait certes la part belle aux combats menés par la Résistance intérieure, on remarque que celle-ci n'est guère nommée en tant que telle dans le texte de Pierre Bost. Dès les premières phrases de son commentaire, l'auteur privilégie l'entité abstraite de la capitale et ses habitants comme acteurs de l'Insurrection.

Une analyse lexicographique de l'ensemble du texte signale ainsi que le nom de Paris est fréquemment utilisé comme sujet de l'action tandis que le terme FFI (cité seulement à trois reprises) n'est employé qu'une fois comme sujet. Pierre Bost se garde plus nettement encore de toute allusion partisane. Il cite le nom du colonel Rol au détour d'une phrase mais à aucun moment ne viennent sous sa plume les mots "communistes", "Front National", "FTPF".

C'est donc essentiellement à l'image qu'apparaît le sigle FFI, lisible sur des affiches, des brassards ou sur des portières de tractions. Un examen des chutes du film révèle l'existence de plans de coupe inutilisés montrant les sigles des FTPF et de la CGT ainsi que l'insigne de la faucille et du marteau.

Cette sélection opérée au double stade du verbe et de l'image est révélatrice des enjeux de l'équipe réalisatrice.

L'occultation des références partisanes fut d'ailleurs critiquée par certains membres du CLCF parmi lesquels le cinéaste Louis Daquin. Le choix œcuménique du groupe de réalisation peut s'expliquer à la fois par la diversité des engagements politiques de ses membres et par la volonté commune de construire une œuvre durable, résistant à l'épreuve du temps. Consciente, dès le 25 août, que le film dépasserait les ambitions d'une simple bande d'actualité pour porter à l'étranger et aux générations futures l'image de la Résistance française, l'équipe réalisatrice fit le choix d'une stratégie commémorative ostensiblement consensuelle. On remarquera que nulle allusion n'est faite dans le film à la trêve qui ne fut pas respectée par les combattants parisiens.