Introduction
La Crucifixion du Christ (Mc 15, 24 ; Mt 27, 35 ; Lc 23, 33 ; Jn 19, 18) constitue l’acmé de la Passion , plus long et détaillé récit continu des Évangiles. Bien qu’élément central de la théologie chrétienne en tant que sacrifice salvateur de l’humanité, il s’agit d’un épisode très court au sein du Nouveau Testament, apportant peu d’indices historiques sur le déroulement du châtiment. Et de fait, la plupart des renseignements sur ce supplice nous vient de sources extérieures.
En effet, la Crucifixion, en plus d’être un événement hautement symbolique pour la religion chrétienne, est aussi un événement historique : son attestation multiple chez plusieurs témoins, notamment Flavius Josèphe dans ses Antiquités judaïques et Tacite dans ses Annales (15, 44), constitue une preuve de l’historicité de l’épisode [1].
Ce sont les Carthaginois, pendant les guerres puniques, qui diffusent la pratique de la crucifixion dans le monde romain au IIIe siècle. Cependant, là où en Orient elle ne servait qu’à couvrir d’infamie des personnes déjà décédées, à Rome, elle est adoptée comme moyen de mise à mort. Cet usage, mentionné pour la première fois dans les comédies de Plaute (250-184 avant Jésus-Christ)[2] , est considéré dès l’Antiquité comme un châtiment barbare, réservé aux esclaves, aux criminels et aux étrangers. Cicéron en parle comme d’un « châtiment extrêmement cruel et dégoûtant », de l’ « ultime châtiment de l’esclave » [3] mais de manière générale, le sujet est peu abordé dans la littérature car jugé trop inconvenant par la haute société romaine.
Le christianisme suscite d’ailleurs le mépris chez de nombreux païens qui ne comprennent pas l’importance que l’on peut accorder à un homme mort sur la croix. Les récits évangéliques de la Passion eux-mêmes n’apportent qu’un minimum d’informations : aucun d’entre eux ne mentionne le fait que Jésus ait été cloué sur la croix. Cela est sous-entendu plus tard, lorsque le Christ ressuscité présente ses stigmates aux apôtres (Lc 24, 39 ; Jn 20, 25-27 ). L’évangile apocryphe de Pierre, quant à lui, nous indique que le Christ est descendu de sa croix uniquement après le retrait de ses clous.
Les condamnés pouvaient aussi bien être attachés par des cordes que cloués à la croix. Une découverte archéologique faite en juin 1968 à Jérusalem nous apporte une preuve de la seconde option : sur le site de Giv’at ha Mitvar , un jeune garçon supplicié vers 30-50 a été retrouvé avec les traces d’un clou unique passé au travers de ses deux pieds.
En ce qui concerne la tenue du Christ après le partage de ses vêtements par les soldats romains, nous n’en savons pas plus. La coutume romaine était de crucifier les criminels nus, mais l’événement se déroule dans un milieu culturel juif où la nudité n’était pas cautionnée. Une exception a-t-elle était faite pour mieux répondre aux coutumes juives ? Méliton de Sardes (Sur la Pâque 97) ne va pas en ce sens lorsqu’il écrit : « son corps nu, pas même jugé digne d’un vêtement pour qu’on ne le voie pas. Aussi les lumières célestes se détournèrent-elles et le jour s’assombrit afin que celui qui était nu sur la croix puisse être caché ».
Cependant, les Actes de Pilate, 10,1, évangile apocryphe grec du IVᵉ siècle, mettent en avant le port d’un pagne par le Christ après que ses vêtements aient été partagés. Peut-être ces informations étaient-elles tellement communes aux hommes de l’époque que ni les évangélistes ni les artistes n’ont trouvé nécessaire de mentionner les détails. Il y a peut-être aussi une volonté de ne pas vouloir s’appesantir sur cette fin déshonorante du Messie rabaissé au rang de simple brigand.
Les sources littéraires nous sont donc de peu d’aide pour nous faire une idée précise du déroulement de ce supplice et il nous faut nous tourner vers des supports visuels pour en apprendre plus. Toutefois, il n’existe aucune représentation de la crucifixion dans le monde païen, toujours à cause du dégoût qu’elle suscite, et la Crucifixion du Christ, avant de devenir l’un des sujets iconographiques les plus représentés du christianisme à partir du Moyen Âge, ne compte que de très rares et schématiques exemples jusqu’au VIe siècle. Ces derniers ne suivent pas forcément le même schéma iconographique. La plupart du temps, le châtiment n’est évoqué que par une croix sans corps, grossière, qui se développe en particulier au IIIe siècle dans les catacombes. Et lorsque le Christ apparaît, il peut aussi bien être représenté nu qu’habillé d’un pagne, avec des clous dans les paumes ou non (mais jamais dans les pieds jusqu’au VIe siècle [4]).