La liturgie à l’origine de l’apparition de ces deux représentations de la Crucifixion ?

Et si l'apparition de cette nouvelle image était liée au cérémoniel chrétien ?

Il nous reste un dernier point à aborder : le lien de l’iconographie de nos deux exemples avec la liturgie[26] et l’enseignement reçu par les chrétiens.

Le coffret en ivoire avait peut-être une fonction de reliquaire, soit pour garder un élément en rapport avec la croix, soit pour conserver une hostie consacrée. En tout cas, son contenu devait avoir un rapport avec la Passion et la Résurrection. Ivan Foletti propose que la mise en place d’un tel cycle ait été inspirée de la liturgie contemporaine, et notamment avec la célébration de Pâques, où le récit de la Passion est encore plus développé dans le culte. La Semaine Sainte était l’objet d’une liturgie stationnelle, reprenant symboliquement les différentes étapes de la Passion et plus particulièrement du Chemin de croix. Et ce sont précisément les épisodes qui sont représentés sur les deux premiers panneaux de notre coffret. Le but est que les fidèles puissent participer à ce chemin, se l’imaginer pour le vivre à leur tour en esprit, grâce aux prières prononcées lors de la semaine sainte. C’est ce que semble dire Léon le Grand dans sa prière du 24 avril 443 : « La vraie foi a cette capacité : être présente en esprit lors d’événements où le corps ne peut pas être présent (…). Ainsi l’image de ces événements, qui ont eu lieu pour notre salut, est présente sous nos yeux ». Les fidèles sont donc appelés à se figurer mentalement les différentes étapes jusqu’au Golgotha. Représenter la Crucifixion sur un objet découlerait donc de cet appel du Pape : un riche commanditaire aurait pu coucher sur l’œuvre la vision qu’il se faisait des événements à la lumière des prières et sermons qu’il entendait durant la messe du Vendredi Saint. Notre coffret serait donc le reflet de l’enseignement reçu par les chrétiens et aurait ainsi une fonction didactique d’aide-mémoire pour son commanditaire (ou l’utilisateur de l’objet).

Les portes de Sainte-Sabine ont peut-être elles aussi cette fonction mnémotechnique pour les fidèles. Dès le Ve siècle, cette basilique possédant un baptistère est un centre privilégié de formation pour les catéchumènes à Rome. Ivan Foletti nous indique que l’atrium, particulièrement décoré dans cette église et clos par nos fameuses portes, était le lieu principal de l’initiation des catéchumènes. Ils s’y retrouvaient également durant la messe, lorsque le prêtre les faisait sortir juste avant de procéder au rite eucharistique qui leur était interdit avant le baptême. Ils avaient alors tout le loisir d’observer les reliefs de la porte, ce qui leur donnait de se remémorer et de mieux comprendre les sermons et leçons qu’ils venaient d’entendre. Le mélange entre scènes de l’Ancien Testament et Nouveau Testament leur permettait alors de refaire eux-mêmes des liens typologiques. La Crucifixion, dans ce contexte, serait représentée comme l’illustration d’un événement essentiel pour la compréhension de la foi, une étape nécessaire parmi d’autres scènes de la Passion pour atteindre le salut.

26 Pour cela nous nous appuierons essentiellement sur deux études d’Ivan Foletti : iThe Bristish Museum Casket with Scenes of the Passion : The Easter Liturgy and the Apse of St. John Lateran in Rome . Et The Doors of Santa Sabina : Between Stational Liturgy and Initiation. In The Fitfth Century in Rome. Art, liturgy, Patronage, Rome, Viella, 2017
L’apparition de la Crucifixion au sein d’un cycle narratif
La liturgie à l’origine de l’apparition de ces deux représentations de la Crucifixion ?