La Crucifixion de la porte Sainte-Sabine à Rome
Actuellement, la Crucifixion occupe la première place dans l’ordre des panneaux des portes de la basilique Sainte-Sabine à Rome. Cependant, il manque dix des panneaux d’origine et il est possible que les différents reliefs aient été replacés de manière à rendre moins visible ce manque. Il est donc compliqué d’analyser l’épisode en rapport avec les autres et nous perdons de nombreuses données de la réflexion iconographique qui se trouvait derrière ce programme[24].
Toutefois, le panneau de la Crucifixion en lui-même est intéressant et nous offre une version différente de l’épisode que ce que nous avons vu précédemment. Sur l’un des panneaux de petite taille (30cm sur 40 cm), se développe donc la deuxième image de la Crucifixion que nous connaissions. Avec une économie de détails, Jésus est représenté debout sur la croix, nu, raide, vigoureux et ses yeux sont grands ouverts. Il est barbu et porte les cheveux longs, ce qui lui confère une certaine maturité. L’instrument de son supplice est caché par son corps mais deux clous sont tout de même visibles dans ses paumes. Il est entouré de deux personnages, plus petits mais eux aussi en croix et représentés selon le même schéma. Les trois personnages prennent place devant une muraille en pierres de taille sur laquelle sont disposés trois pignons, évoquant peut-être les murs de Jérusalem, ville du supplice. Bien que nettement moins détaillée que dans le précédent exemple, cette scène de Crucifixion est porteuse elle aussi d’un sens théologique profond et hautement symbolique. À la présence de Marie, de Jean et du soldat, on a préféré représenter ici les deux brigands avec lesquels Jésus a été condamné. Il s’agit d’une humiliation supplémentaire pour le Messie : il est considéré au même niveau que ces criminels et mérite le même châtiment qu’eux. Cependant, comme sur le panneau du British Museum, un contraste est marqué entre les différents personnages. Il n’y a pas ici d’opposition entre la mort et la vie comme avec Judas, mais Jésus, plus grand que ses compagnons, s’impose visuellement comme supérieur. De plus, sa barbe et ses cheveux longs sont signe de sa maturité et de son autorité, tandis que les deux larrons sont glabres et enfantins. En effet, à partir du IVe siècle, l’iconographie du Christ juvénile est peu à peu abandonnée au profit d’un Christ adulte, barbu, plus près du schéma iconographique classique du philosophe, image de la sagesse. L’absence de croix également un élément essentiel : le Christ n’est plus sur la croix, il est la croix, et de cette manière, il ne subit pas réellement le supplice qui lui a été imposé. De plus, la position du Christ, les bras pliés, ramenés vers le buste et les mains légèrement en l’air, rappelle la position des orants en prières, visibles notamment dans les paradigmes de salut des catacombes. Le Christ sur la croix devient alors le paradigme de salut par excellence. Tout ici est donc mis en œuvre pour montrer la supériorité et le caractère victorieux de l’épisode. Cette fois encore, c’est la Résurrection, la défaite de la mort face au Christ qui est représentée.
En bref
Nos deux objets, même s’ils sont porteurs d’une iconographie extrêmement rare encore au Ve siècle, sont tout à fait représentatifs de leur époque. Tous deux puisent dans les schémas iconographiques classiques afin de faciliter la compréhension du message qu’ils veulent véhiculer aux fidèles qui les observent. Pour l’ivoire du British Museum, l’attitude de deuil de la Vierge est calquée sur la tradition picturale ancienne, la position dynamique du soldat frappant le Christ rappelle les modèles classiques de l’art funéraire impérial et privé utilisés pour représenter des soldats ou des héros mythiques commettant des actes violents [25](fig.11), le chêne et les oiseaux reprennent des symboles de victoire et de vie nouvelle déjà présents dans la symbolique classique et réutilisés dans les sarcophages de la Passion mentionnés plus haut. Les deux objets ont aussi en commun leur référence à la nudité héroïque, symbole de puissance et de victoire, réservé aux dieux et à l’empereur, qui attribue une puissance toute particulière au Christ. Barbu, Jésus rappelle la figure supérieurement sage du philosophe et son attitude d’orant en fait une annonce du salut compréhensible immédiatement des premiers chrétiens. Aussi, bien qu’il s’agisse ici d’images insérées dans des cycles narratifs précis de la Passion, leur fonction diffère peu du symbole victorieux de la croix en tant qu’image-signe ou du message que délivrent les différentes références typologiques annonçant le sacrifice soldé par la Résurrection du Christ. Ces deux exemples restent donc dans la continuité de ce qui les entoure et ne sont en aucun cas une rupture avec la pensée chrétienne qui les précède.