Parures et Paraître : La Mode Féminine à l’Ère des Grands Magasins

 « La femme a pour mission d'idéaliser le réel »1. Cette citation est tirée du livre Mes secrets pour plaire et pour être aimée de la Baronne Staffe, l'auteure de manuels de savoir-vivre la plus populaire du 19e siècle. Elle résume les attentes auxquelles les femmes étaient confrontées à la fin du XIXe siècle, en tant que chefs d'orchestre de la représentation sociale dans la vie quotidienne. Ce devoir de représentation nécessitait plusieurs éléments parfaitement orchestrés pour être complet et irréprochable : les décors (hôtel particulier, opéra...), les scénarios et les répliques (proposés par l'éducation, les manuels de savoir-vivre, les recommandations des journaux et les observations des pairs), les acteurs, et bien sûr, les costumes. Dans cette société orchestrée, le costume joue un rôle important, comme marqueur social, comme outil d'ascension, comme moyen d'affirmer son identité.

 En effet, s'habiller est une expérience universelle, mais qui peut néanmoins être négligée, précisément parce qu'elle est faite tous les jours, par tout le monde. Pourtant, chaque culture a des traditions et des habitudes différentes en matière d'habillement : chaque culture a son propre langage de la mode, compris par les personnes composant une société donnée. Et comme toutes les constructions banales, comme toutes les langues, le vêtement est une fenêtre évidente ou un premier pas dans l'organisation sociologique d'une société. Le vêtement étant avant tout un besoin, c'est la transformation d'un besoin en luxe que nous étudierons, et comment le luxe est codifié et régi pour les femmes.

 A la fin du XIXe siècle, en France et en Angleterre, deux pays occidentaux et industrialisés, que veut dire la haute société à travers le vêtement ? Quelle tradition perdure ? Nous nous intéresserons aux femmes de la haute société car, comme nous le verrons, ce sont elles qui ont la capacité d'élaborer le langage de la mode : elles peuvent se permettre de faire de ce besoin une marque de reconnaissance, comme elles l'ont fait pour l'alimentation, le logement et les manières. La mode masculine a peu évolué au cours du XIXe siècle, et encore moins au cours des deux dernières décennies2. Nous n'étudierons donc que la mode féminine, qui est le reflet de la société dans son ensemble, et pas seulement de l'univers féminin. Le choix du sujet s'est fait en gardant cette idée de la mode comme un langage, une forme de communication, à lire pour comprendre les rapports sociaux et les attentes, ce qui se cache sous le vernis de la société. Comme l'écrit Octave Uzanne dans Les modes de Paris, « loin d'être un sujet d'observation futile, le vêtement et la parure sont, comme le remarqua Charles Blanc, une indication morale sérieuse pour le philosophe et un signe très accusé des idées régnantes »3.

 La fin du XIXe siècle, avec le passage à la Troisième République, est une période considérée comme paisible, du moins pour les plus riches, par rapport aux périodes plus agitées que la France a connues au cours du siècle. En effet, la politique n'est pas continuellement instable et l'économie, bien que parfois en crise, est suffisamment bonne pour les élites. Cette stabilité était nécessaire à notre recherche, qui devait se concentrer sur l'usage de la mode et sa consommation, sans avoir à tenir compte des troubles extérieurs. Il s'agit d'observer un phénomène déjà installé après une période de changements. L'Angleterre, autre puissance occidentale qui n'a pas connu autant de bouleversements au XIXe siècle, servira de point de comparaison pour l'étude de la France, permettant de comprendre les relations sociales et les habitudes de consommation après une longue période de changements.


1. Baronne staffe, Mes secrets pour plaire et me faire aimer, Paris, G. Havard fils, 1896.
2. Bastien Salva, « Dix-neuvième siècle, 1799-1905 », Histoire des modes et du vêtement, du Moyen Age au XXIe siècle, sous la direction de Denis Bruna et Chloe Demey, Paris, Editions Textuel, 2018, p. 259.
3. Octave Uzanne, Les modes de Paris, Paris, L. Henry May, 1898, p.6.