La pratique du métier
Lapidaire, joaillier, orfèvre, graveur et verrier
Le travail du graveur en pierres fines est lié à celui d’autres artisanats notamment dans le cadre de la chaîne opératoire.
Le lapidaire est l’artisan qui taille la pierre en facettes ou en cabochon (la surface n’est pas facettée mais bombée). Il taille la pierre et la prépare en tant que support, avant qu’elle ne reçoive la gravure du glypticien.
Le joaillier et l’orfèvre assemblent les pierres sur les objets, après qu’elles aient été gravées. La proximité de toutes ces professions explique la raison pour laquelle la plupart des glypticiens du XVIIe et du XVIIIe siècle, sont généralement aussi nommés lapidaires ou graveurs sur médaille.La pratique conjointe de la gravure en pierres fines et de la gravure de coins (pour la production de médailles) est établie depuis le XVe siècle.
Il est important de distinguer le glypticien qui est un artiste, du lapidaire qui est un artisan. La différence entre ces deux professions réside dans la nature de leur travail. Le lapidaire taille la pierre. Sa gestuelle est donc mécanique. Il s’agit aussi et surtout d’un marchand : il vend la pierre en tant que matière au joaillier ou à l’orfèvre pour qu’elle soit sertie sur un objet. Le travail du graveur en pierres fines est créatif : il compose et interprète un sujet qu’il marque sur la pierre. La marchandise qu’il vend est non seulement la pierre en tant que matière mais aussi la gravure qu’elle comporte.
Le travail du verre est également lié à celui des pierres fines. Dès l’Antiquité, des copies en verres de gemmes gravées à motif oriental sont diffusées dans toute la méditerranée. Selon Ernest Babelon, l’utilisation accrue du verre moulé ou sculpté à la meule serait une seconde raison du déclin de la glyptique en Occident entre le VIe et le IXe siècle : le verre était travaillé au touret et coloré d’oxydes métalliques pour imiter les pierres précieuses. Au XIIIe siècle à Paris, les règlements émis par Etienne Boileau dans son Livre des Métiers interdisent aux cristalliers de contrefaire leurs ouvrages avec du verre coloré sous peine d’une destruction de la marchandise et d’une amende : « XI. Nus ne puet ne ne doit joindre voire [en couleurs] de cristal par tainture ne par painture nule, quar l’oevre en est fause et doit estre quassée et despeciée ; et le doit amender au Roy selonc la volenté et le jugement le prevost de Paris ». Le verre est beaucoup plus doux et moins dur à tailler et à graver que la pierre. Sa proximité avec la gravure sur pierres est telle que certains glypticiens actuels ont été formés à ces deux arts durant leur apprentissage.
Les techniques de la glyptique
Les techniques de la gravure sur pierres fines sont connues grâce aux sources archéologiques, textuelles et iconographiques. Les savoirs faires et les outils des glypticiens passés et présents ont peu variés à travers le temps.
Le Traité des pierres gravées de Pierre-Jean Mariette publié en 1750 décrit étapes par étapes la chaîne opératoire pour graver les intailles et sculpter les camées. Pierre-Jean Mariette a pu observer Jacques Guay pratiquer la gravure à son touret. La description technique que l’auteur propose est accompagnée de planches imagées représentant l’outillage, le touret et le graveur à son établi en situation de travail. Le touret est la machine-outil nécessaire au travail du glypticien : il se constitue d’une pédale sur laquelle le glypticien appuie avec son pied pour mettre en rotation l’arbre et la roue de la machine. Cette roue actionne une courroie qui met elle-même en rotation une tige au bout de laquelle s’insère les outils pour la gravure sur pierres. L’action mécanique du touret étant produite par le pied du graveur, ce dernier peut maintenir la pierre avec ses deux mains (ou d’une main tandis que l’autre s’appuie sur la partie supérieure du tonnelet qui renferme la tige).
L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert (1767), reprennent et détaillent les gravures du traité de Mariette en trois planches : la table du graveur (composée de deux accoudoirs latéraux), le touret et les outils du touret. Source : ENCCRE (Édition Numérique Collaborative et CRitique de l’Encycopédie).
- Modélisation en cire: le graveur produit tout d’abord un modèle en cire de la figure qu’il souhaite graver. La cire est modelée sur un morceau d’ardoise.
- Préparation de la pierre: la pierre est choisie dans sa forme brute. Avant qu’elle ne soit gravée, elle doit être au préalable taillée et mise en forme (avec des outils de lapidaire).
- Création de l’outillage: le graveur forme sur des tiges en fer ou en cuivre jaune (montés sur le touret) différents outils adaptés au type de travail qu’il souhaite appliquer sur la pierre : des scies, des bouterolles, des outils demi-ronds, plats ou des charnières.
- Tracé du dessin de la gravure sur la pierre: le graveur trace à l’aide d’une pointe en cuivre les premières lignes du dessin sur la pierre.
- Marquage de points de repères à la scie: le glypticien monte une scie sur le touret pour « marquer de distance en distance des points de reconnaissances » en suivant le contour de la figure à graver.
Une fois cette phase préparatoire effectuée, l’artiste peut procéder au travail de mise en forme :
- Dégrossissage: une grande partie de la matière est supprimée, d’abord à l’aide de bouterolles puis à l’aide d’outils plus précis montés sur le touret. Les outils doivent être enduits d’une substance abrasive faite de poudre de diamant ou de pierres précieuses et d’huile pour les pierres les plus dures à graver. Les pierres les plus tendres sont gravées avec de la poudre et de l’eau.
- Nettoyage de la pierre: le graveur doit nettoyer constamment la pierre pour enlever la boue (mélange abrasif) qui la recouvre.
- Empreinte à la cire: la gravure doit être régulièrement apposée sur de la cire molle pour créer une empreinte, afin de contrôler l’évolution et l’exactitude de la gravure voulue.
- Contrôle de la pierre et des outils: les défauts de la gravure sont visibles à la loupe. Il faut vérifier constamment la fixation des outils sur le touret pour ne pas éclater la pierre.
- Finitions: Les outils à pointes de diamants (outils à main et non fixés sur le touret) permettent les premières finitions. Ils creusent les derniers traits que les outils précédents n’ont pas pu effectuer. « On met enfin l’âme, l’esprit et la finesse dans sa gravure ». Cette étape est très longue et nécessite beaucoup de minutie.
- « La dernière main »: à l’aide d’ébauchoirs soit d’outils à mains en cuivre, étain ou bois imbibés d’abrasif, le glypticien peut accéder à des endroits que les outils précédents n’ont pas pu atteindre.
Les étapes du dégrossissage, du nettoyage de la pierre, de l’empreinte à la cire et du contrôle de la pierre et des outils doivent être répétées autant qu’il le sera nécessaire, jusqu’à ce que le graveur soit satisfait du résultat avant de procéder aux finitions. Une fois la gravure terminée, le glypticien peut terminer l’ouvrage en effectuant le polissage de la pierre :
- Polissage de la gravure: La gravure est polie avec une brosse ronde et plate (en poils de sanglier), du tripoli et de l’eau. L’outil peut être monté sur le touret. On monte des outils en étain, en buis puis en bois blanc semblables à des bouterolles et recouvert d’émeri puis de tripoli de Venise très fin. L’artiste passe la gravure sur ces outils pour l’adoucir. Les endroits impossibles à atteindre sont polis avec une pointe de plume couverte de potée d’émeri ou de diamant.
- Polissage externe de la pierre : L’extérieur de la pierre est poli sur la roue du lapidaire. Cette étape est délicate car elle ne doit pas supprimer trop de matière et affaiblir la gravure. Une autre manière que préféraient les artistes était de travailler la pierre à la main en la promenant en rond sur le dos d’une assiette d’étain avec du tripoli.
La gravure en relief pour les camées nécessite les mêmes outils et les mêmes étapes hormis celle de l’empreinte à la cire destinée uniquement aux intailles. Le travail des camées est plus difficile selon Pierre-Jean Mariette car les outils utilisés sont destinés à donner des formes creuses et non en relief. Le polissage des camées peut s’effectuer avec de la pierre à aiguiser en poudre (appelée également « Pierre de Levant » ou vieille roche).
La gravure sur pierres fines est un travail très éreintant pour l’artiste : elle provoque une fatigue des yeux et une certaine tension nerveuse, obligeant l’artiste à s’interrompre fréquemment. De ce fait, la plupart des créations peuvent nécessiter des mois de travail selon la taille de l’ouvrage et le degré de précision de la gravure ou de la sculpture. Le glypticien n’a pas le droit à l’erreur et doit faire appel à sa patience.
La gravure en pierres fines de nos jours
Les étapes de la chaîne opératoire ont peu évolué à travers le temps. L’emploi de certains outils modernes comme la pièce à main (un touret électrique maniable à une main) permettent d’améliorer les conditions de travail de l’artiste : gain de temps et d’énergie, efficacité, fluidité du geste, grande maniabilité de l’outil. De nouvelles matières abrasives sont utilisées comme le carborundum (de la poudre de carbure de Silicium) qui remplace le tripoli ou la poudre de diamant des graveurs de l’époque moderne ou la plastiline (une pâte à modelée plus ou moins souple) permettant le contrôle de la gravure à la place de la cire. De nouveaux outils font leur apparition : les brosses du glypticien et la roue de lapidaire utilisées pour le polissage des pierres sont remplacés par le cône de plomb. Par ailleurs, le métier de glypticien contemporain se détache de la profession de lapidaire là où les artisans du XVIIIe siècle étaient « marchands lapidaires » avant d’être graveurs sur pierres fines.
Des artisans contemporains comme Philippe Nicolas, glypticien de la maison de haute-joaillerie Cartier, perdurent ce savoir-faire traditionnel.