Marquer les sentiments intimes
Parallèlement aux représentations officielles, les thèmes allégoriques relèvent de messages sentimentaux et beaucoup plus subtils. Quelques exemples montrent que les pierres gravées font état de sentiments joyeux comme l’amour et l’amitié mais qu’elles peuvent également commémorer des évènements tragiques. Si les représentations de Louis XV et des grands faits de son règne révèle la grande histoire, le caractère intimiste des sujets présentés dévoile un aperçu de la petite histoire soit des intrigues et des faits anecdotiques parfois relatifs à la vie privée du roi et de son entourage.
Les intailles de l’Action de Grâce pour la convalescence de Monsieur le Dauphin et des Vœux pour la France pour le rétablissement de Monseigneur le Dauphin sont gravées en 1752. La France, sous les traits d’une jeune femme (probablement Madame de Pompadour) et identifiable grâce au blason armé des trois fleurs de lys et d’une couronne, est en position de prière ou de libation. La statue de la déesse Hygie (déesse grecque de la santé), identifiable par ses attributs (sceptre et serpent), est située au sommet d’une colonne. Une couronne et un vase à libation sont à proximité de la France tandis qu’un foyer à l’image du Dauphin (allégorisé par l’animal qui lui est associé) trône entre la statuette de la déesse et de la jeune femme. S’agissant pour la seconde pierre d’une commande de Madame de Pompadour, le contexte dans lequel ces deux intailles ont été gravées, leur confère un caractère votif. En effet, ces deux pierres ont été gravées dans l’espoir du rétablissement du Dauphin, Louis de France, atteint de la petite vérole en 1752.

Jacques Guay, "La France éplorée", 1754, calcédoine, intaille, 1,4 x 1,1 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; N° inventaire : inv.58.2505 ; Crédits photo : © Mathilde Avisseau-Broustet.
Une autre intaille célèbre un évènement tragique : La France éplorée gravée en 1754, exprime une scène de deuil par les différents éléments représentée (l’allégorie de la douleur, une faux et un tombeau). La date « 1754 » et l’inscription « A.I » sur le tombeau font référence au décès de deux individus possibles. L’inscription signifierait d’une part « Anno primo » (première année). Elle commémorait le décès de Xavier de France, petit fils de Louis XV et frère aîné de Louis XVI, emporté par une coqueluche le 22 février 1754 lors de sa première année. L’inscription pourrait être aussi interprétée « A.L » pour faire référence aux initiales d’Alexandrine Le Normant d’Etiolles, la fille de Madame de Pompadour, décédée d’une crise d’une péritonite le 15 juin 1754. L’intaille exprimerait dans ce cas précis, la douleur d’une mère ayant perdue son enfant.

Jacques Guay, "Amour arrosant un myrte", 1764 (avant), péridot, intaille, 1,3 x 1,1 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; N° inventaire : inv.58.2508 ; Crédits photo : Crédits photo : © Base Daguerre, © BNF.
Les allégories que gravent Jacques Guay sont incarnées par des personnages féminins (comme précédemment avec l’allégorie de la France ou de la douleur) ou par des enfants (ailés ou non) faisant écho aux putti de l’ornementation italienne. Ces figures allégoriques sont définies dans le titre des pierres par les termes d’ « Amour » ou de « Génie ». Ces intitulés et les représentations figurent les Amours et les Génies pratiquant une activité ou une action (Amour arrosant un myrte). Ils sont aussi directement attribués aux différents domaines des arts comme le Génie militaire ou le Génie de la musique. Les Génies connaissent d’autres types de représentation, beaucoup plus rarement rencontrées : ils peuvent transparaître sous une forme masculine et adulte comme Le Génie de la Poésie ou sous une forme enfantine (moins proche de celle du putto) comme l’intaille d’Apollon couronnant le Génie de la Peinture et de la Sculpture (le chef d’œuvre de Jacques Guay pour sa réception à l’Académie en 1748). Néanmoins, comme la plupart des génies et des amours (dits putti) de Jacques Guay, ils sont représentés ailés et porteur d’une flamme sur leur tête, symbole de l’illumination, du savoir et de la créativité.

Madame de Pompadour (d’après Jacques Guay), "Le Génie Militaire" ; in : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy , Paris, 1775, fol. 38r ; Source : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy | Gallica (bnf.fr)

Madame de Pompadour (d’après Jacques Guay), "Le Génie de la musique" ; in : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy , Paris, 1775, fol. 63r ; Source : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy | Gallica (bnf.fr)

Jacques Guay, "Le Génie de la Poésie", 1764 (avant), sardoine, intaille, 2,2 x 1,65 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; N° inventaire : inv.58.25010B / REG.K.1113 ; Crédits photo : Crédits photo : © Mathilde Avisseau-Broustet.

Madame de Pompadour (d’après Jacques Guay), "Apollon couronnant le Génie de la Peinture et de la Sculpture" ; in : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy , Paris, 1775, fol. 6r ; Source : Suite d'estampes gravées par Madame la marquise de Pompadour d'après les pierres gravées de Guay, graveur du Roy | Gallica (bnf.fr)

Jacques Guay, Cachet de Louis XIV, "L'Amour les assemble", 1793 (avant), cornaline, intaille, dimensions inconnues, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; n° inventaire : Camée.944 ; Crédits photo : © BNF.
Outre les vertus artistiques qu’elles expriment, les allégories communiquent l’amour ou l’amitié. Le cachet de Louis XV ainsi que le cachet en topaze de Madame de Pompadour sont des exemples de ces expressions sentimentales entre le roi et la marquise. Le cachet de Louis XV contient une intaille en cornaline sur laquelle sont gravés un Amour tenant un bouquet de fleurs et la devise en exergue : « L’AMOUR LES ASSEMBLE ». Le cachet de la marquise contient sur chacune des trois faces, une gravure aux sujets explicites : L’Amour et l’Amitié, L’Amour sacrifiant à l’Amitié (les deux allégories figurent d’une gravure à l’autre) et Le temple de l’Amitié (où l’on peut observer au centre un L entrelacé d’un P, les initiales de Louis XV et de Madame de Pompadour). Les autres pierres répondant au nom de La fidèle amitié montrent un enfant ou une jeune femme jouant avec un chien ou seulement une allégorie féminine.

Jacques Guay, Cachet de Madame de Pompadour, "L'Amour sacrifiant à l'Amitié", 1753, topaze, intaille, 1,4 x 1 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; n° inventaire : inv.58.2504 ; Crédits photo : © Base Daguerre, © BNF.

Jacques Guay, Cachet de Madame de Pompadour, "Le temple de l'Amitié", 1753, topaze, intaille, 1,4 x 1 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; n° inventaire : inv.58.2504 ; Crédits photo : © Base Daguerre, © BNF.

Jacques Guay, Minerve "Bienfaitrice et Protectrice de la gravure en pierres précieuses", 1752, cristal de roche, intaille, 1,3 x 1,1 cm, Département des médailles, monnaies et antiques, Bnf, Paris, France ; N° inventaire : inv.58.2503 ; Crédits photo : © Base Daguerre, © BNF.
Les sujets allégoriques, les putti et les gravures représentant des thèmes liés à la culture, des décors végétaux ou des sujets dits « champêtres » sont autant d’éléments propres au style Rococo, tout comme le répertoire mythologique et la thématique des passions amoureuses. Les sujets gravés par Jacques Guay se seraient conformés au mouvement artistique en vogue ; un mouvement initié en France sous le règne de Louis XV. Par ailleurs n’oublions pas que Madame de Pompadour a été sa principale commanditaire et son élève. En tant que grande mécène des arts, Jacques Guay lui dédie l’intaille Minerve Bienfaitrice et Protectrice de la gravure en pierres fines où la marquise, sous les traits de Minerve, est représentée en sa qualité de mécène auprès d’un touret de graveur, symbolisant la gravure en pierres fines. Aussi, rappelons qu’il fut l’élève de François Boucher, « l’incarnation de l’art rocaille » et que son séjour en Italie lui a permis de développer une culture antique et artistique. Son apprentissage et ses commanditaires ont donc influencé ses thématiques abordées.