Magie et totémisme, les masques zoomorphes camerounais
Les masques zoomorphes sont au cœur des communautés africaines notamment en tant qu’objets qui entrent dans le cadre des rites et coutumes religieuses. Ils témoignent ainsi d’une diversité des croyances et des pratiques rituelles, propres à chaque société, et leur activation les dote de fonctions et de pouvoirs variés.
Totémisme au Cameroun
Les masques zoomorphes sont donc des pièces essentielles dans le système unissant les êtres humains au monde animal. Cette relation homme-animal, de nature magique, s’appelle le totémisme. Il s’agit plus précisément d’une pratique magico-religieuse dans laquelle se noue un pacte entre un individu ou un groupe d’individus, et un animal. Dans les chefferies camerounaises, notamment celles du Grassfields, le totem animal est appelé « pi » ou « mepi », ce qui signifie « doublure de compagnie ». Cette désignation tend essentiellement à indiquer une harmonie telle que l’être humain devient la doublure de l’animal, au point que lorsque le premier souffre, son totem est également atteint…

Masque royal tukah, Cameroun, début du 19e siècle, bois, 88 x 59 x 60 cm, 73.1992.0.13, Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Dans le totemisme, la relation avec le double animal peut être soit inné, soit acquise par les rites d’initiation, nourrissant l’interdépendance de l’un envers l’autre. D’après Sylvain Djache Nzefa, architecte camerounais issu d’une chefferie camerounaise, « l’homme prête son intelligence et son âme à son « pi » pour qu’il échappe aux pièges et, en retour, le « pi » met à disposition ses qualités pour que l’homme puisse agir dans certaines circonstances. ».

Masque zoomorphe, Cameroun, Noun (département), avant 1934, bois sculpté colorié, 74 x 32,5 x 37,5 cm, n°71.1934.171.25, Musée du quai Branly - Jacques Chirac
Union du monde visible à celui de l’invisible
En réalité, de nombreux objets divers et variés sont en lien avec la pratique du totémisme. Mais les masques zoomorphes exacerbent, aussi bien dans le monde visible que dans le monde spirituel, la relation très forte qu’entretiennent des peuples africains avec la nature. Dans ce cadre, porter un masque zoomorphe signifie endosser et incarner la puissance de l’animal représenté. Cette union n’est autre que le symbole d’un univers où le monde humain et le monde animal sont en symbiose.
Visite guidée de l'exposition Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l'invisible, Musée du quai Branly - Jacques Chirac, 2022
Incarner et symboliser le pouvoir des Chefs
Dans les chefferies camerounaises, le serpent compte parmi les animaux les plus puissants. Il s’agit d’un animal royal, à la fois craint et vénéré, symbole de puissance. Ce motif est donc largement répandu sur les objets et les masques. En tant qu’animal totémique, il est particulièrement prisé des guérisseurs traditionnels, utilisé pour la bonne récolte des herbes thérapeutiques.
La panthère est également un animal-totem très important au Cameroun, notamment dans le Grassefield, car elle est l’animal le plus puissant de la cosmogonie. Seuls les chefs et les notables les plus puissants peuvent s’y associer.
L’éléphant quant à lui est le symbole de la force et de la longévité. Du fait de sa grande force physique, il compte parmi les emblèmes du pouvoir les plus évocateurs des chefferies camerounaises.

Masque zoomorphe buffle, yamfun, Cameroun, plaine de Ndop, 19e - 20e siècle, bois, pigments (kaolin?), 68,5 x 30,5 x 16,5 cm, n°73.1992.0.15, Musée du quai Branly - Jacques Chirac

Masque-cagoule éléphant. Parade de la société secrète Kuo'si lors de funérailles. © La Route des Chefferies, photo Perez. Œuvre présentée dans l’exposition Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible, Musée du quai Branly - Jacques Chirac
D’autres animaux trouvent régulièrement leur place dans le système totémique des sociétés du Cameroun, tel que le hibou, généralement associé à la magie, et le buffle, symbole de force, de courage. Les sociétés secrètes s’emparent souvent de cet animal totem pour orner leurs masques, sortis lors de grandes cérémonies religieuses. Dans ce cadre, le masque zoomorphe est même « surpassé » par un costume entier, ornant aussi bien la tête que le corps. En effet, les masques et autres totems sont « chargés » par la valeur magique, rituelle et spirituelle de l’animal qu’ils incarnent. Cette activation du pouvoir des masques est le fruit de rituels secrets, seulement ouverts à un petit nombre d’initiés, et peuvent n’intervenir qu’à l’occasion d’événements très restreints. C’est par exemple le cas dans la société secrète du masque de l’Eléphant, constitutive de la chefferie camerounaise Bafou, qui n’est sorti que lors des funérailles des chefs religieux. Sinon, le masque est sous surveillance permanente et à l’abri des regards.
L’animal-totem, intrinsèquement associé aux pouvoirs et aux fonctions des masques zoomorphes, érige ces objets, notamment dans les chefferies camerounaises, en de véritables manifestations du pouvoir et du lien entre l’ordre terrestre et celui de l’invisible.