Introduction
« Lors de conflits armés, le patrimoine d’un pays est à la fois l’emblème d’une identité collective, une source de convoitise et un otage éventuel. » Cette remarque d’Arnaud Bertinet, maître de conférences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, lors du colloque « Sur la piste des œuvres disparues en temps de guerre (1870-1945) » le 1er juin 2022, indique la portée induite au patrimoine en temps de guerre. Ainsi, sa protection revêt une importance primordiale en période de conflit, car l’histoire a montré qu’il en est souvent une victime collatérale. Bombardements, pillages et destructions involontaires mettent en péril des siècles d’histoire et de culture. Mais le patrimoine ne subit pas seulement la guerre : il en devient parfois un enjeu stratégique. Détruire les monuments, les œuvres et les symboles culturels d’un ennemi, c’est atteindre son identité, fragiliser sa mémoire collective et briser le lien qui unit une population à son histoire. Ainsi, au-delà des batailles militaires, les conflits s’accompagnent bien souvent d’une guerre contre la culture elle-même.
L’histoire de la protection de Versailles durant la Seconde Guerre mondiale reste méconnue, pourtant elle révèle un épisode fascinant de préservation du patrimoine en temps de conflit. Symbole absolu de la puissance de Louis XIV, lieu de pouvoir et de mise en scène du prestige royal, le château incarne à lui seul tous les symboles de l’histoire de France. À plusieurs reprises, il s’est retrouvé au cœur des bouleversements historiques, notamment lors de la Révolution française. Mais en cette période troublée, c’est un tout autre enjeu qui s’impose : assurer sa sauvegarde face aux menaces d’un nouveau conflit mondial. Dans une Europe en proie aux tensions, on craint que Versailles devienne une cible de choix du régime nazi pour venger les humiliations passées. Face au danger, un plan de protection d’une ampleur inédite est mis en œuvre : en secret c’est une véritable course contre la montre pour préserver ce patrimoine inestimable et garantir sa transmission aux générations futures qui se joue.
En effet, la fin de la Première Guerre mondiale laisse l’Europe dans une situation politique complexe, marquée par des tensions croissantes. La signature du traité de Versailles en 1919, imposant de lourdes sanctions à l’Allemagne, nourrit un profond ressentiment outre-Rhin. Ce climat instable s’aggrave en 1933 avec l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, remettant en cause l’ordre établi par le traité. Dès lors, les tensions s’intensifient en Europe, faisant craindre un nouveau conflit et poussant les États à anticiper les conséquences d’une guerre qui semble de plus en plus inévitable.