La construction d'une identité picturale
L’autoportrait représente ainsi pour Frida Kahlo, son moyen d’expression le plus exploité sinon le plus apprécié. Si elle cherche à exprimer ses émotions et ses sensations, la façon dont elle perçoit le monde qui l’entoure également, rien de mieux selon elle que de le faire à travers diverses représentations de sa propre personne et de sa personnalité. Elle est, comme elle ne cesse de le répéter, son meilleur modèle et son meilleur sujet. L’autoportrait occupe donc une place de choix dans sa pratique artistique tout autant que dans son cœur car il lui permet de représenter honnêtement les sujets qu’elle aborde dans ses toiles. Elle se met à nu dans celles-ci et expose sans concessions, ses peurs, ses traumatismes, ses peines, ses regrets mais aussi ses convictions, ses engagements et les changements progressifs de sa vie, inlassablement marquée par l’art.
Un art dont la principale source d’inspiration devient rapidement la propre vie de l’artiste. C’est son enfance qu’elle représente, mais aussi sa vie d’adulte. Ses sujets de prédilection lui permettent de témoigner de ses origines et de ses racines familiales mexicaines notamment qu’elle n’aura de cesse de revendiquer et de mettre à l’honneur dans ses toiles. L’autoportrait est aussi un moyen pour elle d’affirmer la fierté qu’elle éprouve envers son pays et son engagement politique.
Entre ses mains, l’autoportrait n’est plus simplement une pratique artistique comme une autre, mais la création de doubles, empli de symbolisme, qui lui permettent de dépasser sa condition et ses traumatismes. Ils nous exposent ainsi la complexité de son identité, une identité dont elle cherchera la véritable essence toute sa vie, tout en se confortant dans cette pluralité de soi qui lui permettent de ne pas seulement être la Frida handicapée, mais tant d’autres facettes d’elle-même également.
Par la représentation de sa souffrance, Frida Kahlo convoque l’art comme un mécanisme de guérison et au-delà, comme une véritable stratégie de survie. L’autoportrait en devient un exutoire de ses souffrances, essentiel à sa vie. C’est surtout de son accident d’autobus et des conséquences de celui-ci sur son quotidien dont elle essaye de s’échapper à travers ses toiles. Sa colonne brisée, souvenir d’un événement particulièrement douloureux deviendra d’ailleurs un de ses signes les plus distinctifs. C’est aussi sa relation tumultueuse et passionnée avec Diego Rivera qu’elle cherche à extérioriser par la peinture. L’autre grand traumatisme de sa vie est le fait de n’avoir jamais pu avoir d’enfant. Son infertilité, causée par l’accident de sa jeunesse, et ses fausses couches à répétition sont un sujet particulièrement récurrent dans ses autoportraits. Ces derniers rendent compte de la façon dont Frida Kahlo se perçoit et se représente au monde. Elle se construit, à travers ces reflets couchés sur la toile, une image publique et une identité qui résonne encore aujourd’hui. Toutefois, cette identité se construit également au travers du regard extérieur, celui de sa famille et de ses amis, au travers de ces portraits d’un autre genre. Ces autoportraits blessés, réconciliants, engagés, par moment tout à la fois, sont d’autant de représentations de Frida Kahlo, artiste aux multiples facettes qui est parvenue, consciemment ou non, à se créer à travers son art, une identité picturale singulière et percutante.