LA CONSULESSE
Dès le retour de Napoléon, la maison de la rue de la Victoire devient le centre des réunions qui préparent le coup d'État du 18 Brumaire. Joséphine se retrouve, de fait, au cœur des intrigues. Bien qu'elle soit proche des membres du pouvoir en place, notamment les directeurs Barras et Gohier, qui lui fait la cour, elle choisit de rallier la cause de son mari. L'historienne Françoise Wagener évoque un nouveau « pacte » scellé entre les deux époux. Si son rôle demeure secondaire dans la préparation du coup d'État, elle accompagne Bonaparte dans chacune de ses sorties et active ses différents réseaux pour obtenir des informations.
Après l'avènement du Consulat et la nomination de Napoléon comme Premier consul en décembre 1799, le couple Bonaparte s'installe au Palais du Luxembourg, mais Bonaparte trouvant le logis trop exigu, il prend finalement ses quartiers au château des Tuileries à partir du 19 février 1800. Joséphine ne s'y plait guère, trouvant le lieu sinistre. Très occupé par son travail à la tête de l'exécutif, Napoléon est peu présent aux côtés de sa femme et ne prend qu'à peine le temps de manger avec elle. Joséphine ne cache pas son ennui, aussi bien aux Tuileries que dans leur domaine de la Malmaison, où le couple séjourne habituellement du vendredi au lundi. De même, Napoléon s'évertue à la tenir à l'écart de toutes les questions politiques, dont elle s'informe néanmoins par le biais de ses réseaux, notamment les ministres Talleyrand et Fouchéa.
Le Premier Consul entend néanmoins se servir de Joséphine dans sa stratégie de pouvoir et afin de renforcer son emprise sur la société. Il lui attribue ainsi un rôle officieux : outre le fait d'accompagner Napoléon dans la plupart de ses déplacements officiels, une obligation protocolaire impose dès lors aux membres du corps diplomatique de rendre visite à Joséphine en sortant des audiences officielles avec Bonaparte. Tout comme son influence grandit, la place de Joséphine gagne en importance au sein du palais gouvernemental, au point que l'historien Pierre Branda la qualifie de « consulesse ». Celle-ci prend peu à peu des allures de souveraine, plus encore après la déclaration du Consulat à vie en 1802.
Par ailleurs, Joséphine intervient personnellement pour favoriser le retour de certaines familles émigrées, ce qui fait dire à l'historien Frédéric Masson, à propos de la commission chargée d'examiner les demandes de radiation de la liste des émigrés : « Impossible d'ouvrir un dossier d'émigré, surtout d'émigré qualifié, sans y trouver une note ou un billet de Mme Bonaparte. » De même, dans les premiers mois du Consulat, elle s'entretient régulièrement avec des proches du futur Louis XVIII et de son frère le comte d'Artois. Elle se montre favorable à une restauration des Bourbons et cherche à convaincre son mari d’œuvrer en ce sens, en vain. Son attachement à la noblesse transparaît également dans la défense du duc d'Enghien, qu'elle tente de sauver alors que celui-ci est menacé de comploter contre Bonaparte et d'avoir cherché à l'assassiner. À l'inverse, et contrairement à une idée largement répandue, son influence dans le rétablissement de l'esclavage dans les colonies françaises est négligeable, comme le souligne Pierre Branda : « Fille des îles, une légende tenace lui attribue notamment la responsabilité du rétablissement de l'esclavage dans les colonies. Compte tenu de sa proximité avec les Antilles, il semblerait en effet logique qu'elle ait tenté d'influencer Bonaparte sur ce sujet. Rien ne permet toutefois de l'affirmer. Au contraire, il semble même qu'elle s'en soit sinon désintéressée, du moins fort peu préoccupée. Quel pouvait être son intérêt ? Sauver la rentabilité des domaines familiaux ? En aucune façon. » Selon Patrice Gueniffey, l'impératrice n'aurait joué aucun rôle dans cette affaire.
Tandis que le pouvoir de Bonaparte s'étend de plus en plus, les rapports entre Joséphine et sa belle-famille ne cessent de se dégrader. Le clan Bonaparte n'accepte pas les bontés attribuées par Napoléon aux enfants du premier mariage de Joséphine, mais plus encore, c'est la question de l'hérédité qui devient un sujet d'affrontement récurrent entre eux : puisqu'elle ne semble pas en mesure de donner des enfants au Premier consul, les frères de ce dernier cherchent à le convaincre de divorcera. Pour se sortir du « piège de l'hérédité », Joséphine favorise alors le mariage de sa fille Hortense avec le frère cadet de Napoléon, Louis Bonaparte. Cette solution présente le double avantage de préserver sa place tout en assurant l'avenir du régime. En adoptant les enfants à naître de Louis et Hortense, Joséphine et Napoléon tiendraient alors leur héritier naturel.